Les neurosciences sont sous les feux de l’actualité. Leurs progrès spectaculaires et fascinants produisent cependant des effets collatéraux dont il faut se méfier. Plébiscitées par le grand public, elles seraient la preuve matérielle, démontrée par l’image, des bien-fondés, des bienfaits ou des méfaits de telle ou telle pratique. Cette “neuromanie” tentaculaire va bien au-delà des sciences humaines. Ainsi apparaissent et fleurissent des neuromythes utilisés pour expliquer et donner du sens à de multiples aspects de la vie humaine.
Les mass media sont couverts d’informations présentant des images en couleur du cerveau, qui nous montrent la localisation précise où une certaine pensée ou une émotion, voire l’amour, arrive, nous amenant ainsi à penser que l’on peut directement observer, sans aucune médiation, le cerveau au travail. Raymond Tallis définit
la “neuromanie” comme cette croyance que l’être humain peut se connaître lui-même en en apprenant de plus en plus sur son système nerveux central et, plus particulièrement, sur le fonctionnement du cerveau. La “darwinite” y ajoute la dimension de notre héritage biologique : la compréhension de notre comportement actuel resterait étroitement dépendante des mécanismes ayant permis la survie de notre espèce. Selon lui, le neurocentrisme combine cette neuromanie et cette darwinite. La croyance critiquée par Tallis est que la compréhension de l’esprit humain
ne serait donc possible que par l’étude combinée du cerveau et de son évolution.
Les neurosciences infusent
À l’heure où les neurosciences envahissent tous les champs thématiques, médiatiques et fantasmatiques, il semble extrêmement opportun de s’interroger sur les contours de cette discipline et sur son évolution conquérante. Les champs thématiques concernés par les neurosciences sont légion : neuropsychologie, neuroéducation, neuroéconomie, neuroesthétique, neurosciences sociales, etc. Ce neuro-impérialisme galopant a pourtant invité quelques penseurs à fonder un neuroscepticisme expertement argumenté. Les champs médiatiques envahis par les neurosciences peuvent se mesurer aux couvertures des magazines bien au-delà de la vulgarisation scientifique. Et les champs fantasmatiques recouvrent, bien en deçà de la science-fiction, l’idée que “moi et mon cerveau” sommes distincts, la conviction répandue que les explications ultimes seront trouvées dans les neurones, de toute-puissance.
Les neuromythes fondateurs de notre société curieuse de cerveau et de neurones sont de plus en plus nombreux et de plus en plus répandus. Apports des sciences cognitives La division artificielle cerveau droit-cerveau gauche, les différences entre cerveaux masculin ou féminin, la notion de cerveau reptilien, le dualisme corps-mental
alimenté par toutes les pensées fondées sur le paradigme “moi et mon cerveau”, les neurones miroirs dont on ne sait de quoi ils sont le miroir, le système de récompense qui fournit une explication à tous nos comportements, les localisations cérébrales, l’utilisation de seulement 10 % de nos neurones, la chimie des sentiments qui, pas plus
que l’imagerie, ne donne accès aux expériences individuelles, l’image informatique réductrice du cerveau, l’illusion explicative des imageries cérébrales, etc. – ces neuromythes sont communément utilisés par tous pour justifier, expliquer, donner du sens à de multiples aspects de la vie humaine.
Il appartient aux journalistes et aux scientifiques eux-même d’aborder la vulgarisation scientifique avec la même prudence et la même rigueur qu’ils élaborent les protocoles scientifiques et de ne pas perdre de vue les vertus du doute…
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